OU BAT MON CŒUR

 

Si l’eau de mer comme de l’encre,

Avait la couleur de l’écrit ?

Si dans les creux de ces échancres,

Je pouvais y graver ma vie ?

 

Je vous tracerais dans l’écume,

Au blanc d’une toile à tableau,

Tout l’amour que j’ai dans ma plume,

D’un seul trait de mon pinceau.

 

Je vous mènerais sur la mer,

Comme un pilote accompli.

Menant ces grands cargos de fer,

Comme on rentre avec un ami.

 

Et d’un regard, tendre marin

Fier de défendre ces valeurs,

Je vous donnerai de mes mains,

Cet Océan, où bat mon cœur.

Ma mer à moi

 

Oui certes, je ne puis point, me repaître de mer,

Ma maison est à terre, bien loin de sa beauté.

Et de tous ses éclats, je ne veux rien narrer,

Mais tout imaginer, au fil de mes chimères.

 

Je la veux dans mes rêves, dans des bleus bienveillants,

Dansant sur mes mesures, dans des airs de brises,

La vague en répit, dans des rides conquises,

Glissant dans l’harmonie de mes doigts avenants.

 

Vous l’entendez chanter ! Non ! C’est ma résonance,

Vous la voyez tanguer ! C’est moi dans mes effets

Et quand dans son étale, vous la voyez en paix

C’est moi qui de quiétude, termine ma romance.

La mer des tristes vents

 

Ici, le son du vent s’immerge de tristesse ;

La langueur de la vague rappelle les dénouements.

L’écume, comme un linceul, révèle des faciès ;

Des âmes aux pauvres cœurs, prisonniers du néant.

 

Mais qu’en as-tu donc fait, de ces marins poètes,

Ces matelots hardis, dans tes flots, trépassés,

Ces capitaines courage, se riant des tempêtes,

Et qui se sont occis en voulant t’affronter.

 

Oui, qu’en as-tu donc fait, de ces humbles pêcheurs,

Brisés dans tes abîmes, par un jour de tourment,

Ces soldats valeureux, aux destins prometteurs,

Avalés dans le gouffre de tous tes guets-apens.

 

Puisses-tu, dans tes entrailles, les bercer de tes ondes,

Dans l’étreinte liquide de tes mouvants baisers ;

Accueille-les dans tes rides, aux alcôves profondes,

Pour honorer ces corps, qui t’avaient tant aimé.

 

Vague plaisir…

 

La vague est une main, qui effleure mon âme,

De va-et-vient léger, je la sens m’embrasser.

Elle a dans son eau tiède, le parfum d’une femme,

Qui m’imprègne d’écume, et qui vient m’enlacer.

 

Elle ondule en mon  corps, et ses lèvres aquatiques

Imbibées de son flux, investissent mes traits.

Je la sens tantôt frêle et parfois frénétique,

Dans de houleux assauts dont elle a le secret.

 

Puis conquise, à son aise, épousant mon empreinte,

Glissant sur mes envies et fantasmes échancrés,

Elle m’absout de son eau, dans une dernière étreinte,

Que mon être en attente, était venu chercher.

Va prier…

 

Elle te paraît hospitalière,

Pourtant, c’est un ample tombeau ;

Que ce soit de paix ou de guerre, 

La mort habite dans ses eaux.

 

C’est une fortune de mer,

À la tragique traversée,

C’est l’équipage, qui en enfer,

A disparu lors d’une bordée.

 

Le pêcheur, marin de naguère,

La Femme, l’enfant que l’on aimait,

Qui dans l’abysse délétère,

Se sont perdus à tout jamais.       

 

Dans l’horizon d’un triste soir,

Que la mer s’est appropriée,

Va prier sur ce reposoir

Offert à l’âme trépassée.

 

À tant écrire

 

À tant écrire sur la mer,

Il me semblait avoir tout dit,

De ses colères dans l’éther,

De sa beauté, de son esprit.                

 

Pourtant il est dans tous son être,

Tant de nuances et reflets,

Qu’un alphabet de vingt-six lettres,

Ne pourrait dire tous ses secrets.

 

En la chantant de page en page,

J’ai cru pouvoir, l’apprivoiser,

Dans tous les mots de mon langage,

Quitte à devoir en inventer.

 

Mais vainement, comment décrire,

D’un simple flot, l’ondulation,

Comment exprimer le soupire,

D’un reflux en expiration,

 

Comment saisir dans la vague,

Le bruissement de sa chanson,

Son grondement quand elle divague,

Venue du large et du tréfonds.

 

Ses eaux sont comme un livre ouvert,

C’est un écrin, une chimère,

L’instant ne dure ; si tôt offert,

L’onde s’éclipse leste et légère.

Un corps inanimé

 

Un corps inanimé, fuyant, peut-être un leurre,

Serpente les abysses, comme irait un chiffon ;

Les siens, qui l’accompagnent, dans un courant qui pleure,

Gémissent, dans ce néant, pour lui, une oraison.

 

Ce lugubre chemin, plongé dans cet éther,

Qui va comme un miroir dans un ciel tréfonds,

Se dissout dans ces flots, fait d’un linceul amer,

Menant cette âme blanche, dans un noir Panthéon.

 

C’était un jeune Dauphin, pétillant et joueur,

Qui de par les Glénans, escortait mon bateau ;

Sa troupe qui ondulait, dans mes flux enjôleurs,

S’élevait à la nue, dans de sublimes sauts.

 

Dans leurs bleus apparats ; dans ces vagues de scènes,

S’adonnant l’œil vif à des rites bouffons,

Ils bouillonnaient dans l’eau, brillant comme des sirènes,

Dans un ballet suave, pour un Poséidon.

 

Mais la Mer, immondice, couverte de souillures,

Offrit à l’ingénu, un de ses mets toxiques ;

Croyant voir une Sèche, pour saine nourriture,

Il soupa du venin d’un cruel plastique.

 

Combien de ces ondins, de ces êtres de cœur,

Nous faudra-t-il occire, au nom d’un progrès fou ?

Oui, combien faudra-t-il, de ces frères et ces sœurs,

Assassiner en mer, sans le moindre tabou.

 

As-tu vu…

 

As-tu vu au couchant les raies en multitude,

Au large des Marquises, onduler dans les flots,

Ébranler l’horizon, dans le curieux prélude,

D’une danse d’amour, fait d’un éclatant saut.

 

As-tu vu ces dauphins s’extirper de l’abîme,

Propulsés par Neptune ou par Poséidon ;

S’élevant en ballet pour embrasser la cime

Du grand mât d’un voilier qui passait  à l’aplomb.

 

La baleine ondoyant dans cette nue liquide,

Escortant, sur son flanc, son petit baleineau, 

Fébrile, mais puissant, dans ce monde aquatile,

Où tout est démesure, et si richement beau.

 

Comment imaginer, en ce sein idyllique,

Que ce grand Panthéon soit aussi menacé ?

Comment imaginer que ce lieu mirifique,

Par l’homme sans égard puisse être ruiné ?

Héroïde,

 

Ô, douce nostalgie, tu n’auras pas mes pleurs,

La Mer mon idylle, n’a déjà que trop d’eau,

Ses flots de souvenirs, ont rajeuni mon cœur,

Et ravivé en moi, mes rêves idéaux.  

 

Au sérail de ses joies et ses sens liquides,

En chemin révolu, d’une étreinte de temps,

J’ai vogué du printemps, à ma première ride,

Heureux et volontaire à tous ses mouvements.

 

J’ai couru dans ses veines, au courant idyllique,

Dans ses vastes ourlets, enlacés de l’éther,

Où allait l’océan, je suivais homérique,

Aliéné en son sein et mes propres chimères.

 

J’ai touché tant de mains, et senti tant de fluide,

Aux confins de ses bords, et de ses horizons,

Que de tous mes écrits et de mes héroïdes,

Rien ne put dans mes vers, sonner mieux que son nom.