Les îles

       

Les îles, « on peut le croire », sont des lieux de mystère, des jardins secrets que Neptune, Poséidon, et autres Dieux marins, ont déposés ici et là, afin de soumettre l’homme orgueilleux, conquérant, et présomptueux, à la sagesse de ces sanctuaires pleins de plénitude et d’humilité.

 

Voyez comme notre esprit, notre mental, se métamorphose sur ces petits vaisseaux de terre qui, au vent, se déplacent immobiles de leurs voiles de nue. Le charme intemporel qui s’en dégage nous envahit et nous apaise ; quoique l’on fasse, on est transporté dans cette autre dimension qui, comme une enveloppe, nous soustrait et nous débarrasse de toutes matérialités.

                 

Les îles du Ponant me sont particulièrement chères. Je m’y rends toujours avec émotion, me prenant à croire que je les foule ainsi pour la première fois, alors que je les côtoie depuis des décennies.

A l’île de Houat

Le vent, si vite en fait le tour,

Léchant la brume de ses mains moites,

Il a l’haleine des mauvais jours,

Par petit temps, à l’Île de Houat.

 

Les grands voiliers ont fui en chœur,

La plage sud s’est désertée,

Le bourg n’entend plus les rumeurs,

De ces nuages entoilés.

 

De nouveau seuls et incongrus,

Les sentiers parlent au silence,

Leurs voix, dans la lande éperdue,

Et les falaises font résonance.

 

Les maisons de nouveau blotties,

Serrées dans les bras du village,

Se collent à leurs maçonneries,

Comme des oiseaux dans leurs plumages.

 

Et dans le port solitaire,

Qui vit jadis le saint Gildas,

Les chalutiers en gris de Mer,

Fondent dans le grain qui leur fait face.

 

L’âme de Houat

C’est une main tendue au-devant de la mer,

Vois sur la grande plage, cette paume échancrée,

Au large, lorsqu’on la voit, on dirait un amer,

Qui brille dans le sable d’une ligne dorée.

 

C’est un lieu affranchi, nul ne se l’accapare,

Ses chemins et sentiers ne peuvent s’apprivoiser.

Ils courent dans la lande, libres de toute amarre,

Ainsi seul le vent peut les suivre sans errer.

 

Aux portes des hameaux, c’est la rose trémière,

Qui relève la tête, c’est pour mieux vous guider.

Sentinelle du Ponant, de chaumière en chaumière,

Elle vous chante ce lieu, pour vous le faire aimer.

 

Le cœur de ce charmant vilain petit canard*

Qui tire son caneton à travers l’étendue,

Est un petit éden ; ce n’est pas un hasard,

Si sa Bretonne robe se confond à la nue.

 

 *Allusion au nom breton de Houat et Hoëdic

Belle-Isle

 

Elle tend, comme une joue,

Son rivage à la Mer,

Qui mettant pied à terre,

L’embrasse sans tabou,

D’un baiser un peu fou,

Qui étreint ses parterres,

Sans jamais la complaire,

De cet étrange joug.

 

Le ciel, plein de sa mue,

Pour sceller son alliance,

Donne dans ses mouvances,

Un long voile impromptu,

Qui s’en va par-dessus,

Par-dessous, en errance,

Comme une turbulence,

Qui se serait perdue.

 

Quiberon, à dessein,

Lui tend son bras, ouvert,

Qui jadis solidaire,

La touchait de sa main,

En des temps, fort anciens,

Où tous deux de concert,

Fusionnaient dans l’éther

De ce pays salin.

 

Mais, celle-ci n’en a cure,

Et veut sa liberté,

Garder, ne point donner,

De sa riche nature,

Elle danse en mesure,

À la barbe, et au nez,

De tous ces exaltés,

Qui la voudraient reclure

Ouessant

 

Ce peut être parfois les portes de l’enfer,

Quand le vent en tempête s’adonne à sa furie,

Alliant la frénésie de son alliée, la mer,

Qui, dans la démesure, joue de sauvagerie.

 

Ce peut être la pluie pénétrée de brouillasse,

Qui,  comme un long linceul, recouvre tout en gris ;

Agitant des fantômes dans ce lieu qui grimace,

À la faveur des ombres qui ondoient en sursis.

 

Mais quand s’en vient Phébus, rutilant à l’aurore,

Embrasant la bruyère et l’ajonc jaunissant,

La lande avivée illumine sa flore,

Pareille à un phénix qui renaît du néant.

 

Comme un peintre ardent qui bariole sa toile,

La nature parsème sa couleur à pleins champs,

Colorant ces parterres avec un peu d’étoile,

Que l’on trouve partout dans cette île du Ponant.

 

C’est un nid de marins, où préside  la femme,

Qui dans ce « Pen-ar-Bed » est maître ci-devant,

Quand l’homme à la mer, éloigné de sa dame,

Laissait, dans son foyer, la besogne et l’enfant.

 

Mais les temps ont changé, plus de vicissitude,

Les parcelles endormies ne sont plus cultivées ;

Les jeunes ouessantins, lassés de solitude,

Sur le grand continent, se sont expatriés.

 

Seuls, les grands farfadets, à l’étrange silhouette,

À la pointe de Pern, contemplent l’océan ;

Sentinelles en ce lieu, créé pour le poète,

Qui voit en ces rochers, tous les mythes d’antan.

 

Mais que subsiste-t-il de l’ancienne culture ?

Quelques lopins de terre fortifiés contre vent,

Quelques  lavoirs enfouis au fond de la verdure,

Balayés par l’odeur océane d’Ouessant.

Ile de Sein

 

C’est un bout de rocher, propice à la tempête,

Un petit coin de terre, où s’entassent les grains ;

Tous les oiseaux de mer, en ont fait la conquête,

Et nichent à la volée, se riant des embruns.

 

C’est la pointe du Raz, qui la poussa en mer,

Jetée au « Penn ar Bed »* et aux mondes inconnus,

La laissant en Iroise, affronter la colère,

Et le déferlement de l’immense étendue.

 

L’océan de ses crocs, qui l’a tant morcelée,

A tracé sur son bord, de démentes courbures,

Qui serpentent çà et là, en des lignes hachées,

De l’empreinte seyante, de toute sa démesure.

 

Sa nature laminée, est un cocon de lande,

Une peau de broussaille et de ronce éperdue,

Où éclosent mille fleurs, s’offrant telles des guirlandes,

De Silène et de Criste, et de pavot cornu.

 

Mais ne vous y fiez point, les hommes ont tête haute

Valeureux à la pêche, dont ils sont coutumiers ;

Les femmes vêtues de noir, vous accueillent en hôte,

Dans ce petit enfer qui pour eux est sacré.

 

*<Penn ar Bed>  -  Bout du monde en Breton

Lok Maria de Groix

  

Qui se souvient encore de cette humble chapelle,

Ruinée, sur les hauteurs, à la Pointe de la Croix,

Qui de son pieux fanal, amer et sentinelle,

Guidait, par mauvais temps, tous les marins de Groix.

 

Seul un frêle clocher, un escalier en pierre,

Subsistaient de ces murs, autrefois vénérés,

Sis à proximité d’une simple chaumière,

Et d’un brave pêcheur qui en avait pitié.

 

Nul phare n’existait ; à l’heure de la tempête,

Le vieil homme apportait sans tarder un falot,

Qu’accrochait vaillamment une souple jeunette,

Qui de tout son courage l’attachait tout en haut.

 

Ainsi, ils sauvetaient par ce brillant signal,

Bien des embarcations de la côte acérée ;

Ils guidaient les navires de ce feu pastoral,

Dans le déferlement de la mer déchaînée.

 

Mais un âpre marchand s’empara de la terre,

Et du havre gisant en ce lieu consacré ;

Il prohiba l’entrée de la bande côtière,

Éteignant le bienfait de cette charité.

 

Ainsi, mal lui en prit, car un soir de tourmente,

Son fils qui revenait sur un  fameux voilier,

Donna sur les brisants devant la pénitente,

Et ce déplaisant père, qui ainsi, fut châtié.

     

D’après « Fantômes Bretons » d’Ernest du Laurens de la Barre