Comme je vous le disais sur ma page des îles, J’ai très tôt été attiré par l’atmosphère énigmatique qu'elles me procuraient. Elles ont toujours été pour moi une merveilleuse source d’inspiration. Mes premières rimailleries relatives à ce thème datent de mon adolescence. Pour autant que je m’en souvienne, c’était à l’île de Sein, au milieu des années 60. Je fus, alors, subjugué par cette longue et légère excroissance de terre, ceinturée d’une dentelle d’écume, qui paraissait naviguer avec langueur sur une Mer hors du temps. En y mettant pied à terre, il me sembla être monté à bord d’un serpentueux voilier qui s’accrochait tant que mal à la mue d’un ciel tout en argent. Tout me semblait écrasé, balayé par des embruns et des tempêtes, qui s’étaient s’amoncelés là, sans doute pour mieux s’engouffrer plus tard sur le proche continent. Elle était comme une bouteille à la mer, que l’on vient d’ouvrir dans la ferveur du moment. J’étais grisé de son parfum qui s’entremêlait allégrement avec les senteurs de la pêche, les algues sèches, qui embaumaient une odeur épicée, et la lande, d’où émergeaient les effluves du fenouil marin. Je devinais le quotidien de ces intrépides pêcheurs et l’heureuse fatalité de ces femmes en noir, qui arboraient avec fierté la coiffe et la tenue traditionnelles de leur condition.
« Les îles sont des bateaux » est l’une de mes premières inspirations marines. Je l’ai écrit il y a fort longtemps, à bord du TCD Orage, fier bâtiment de guerre de la Royale, entre les Galápagos et les Marquises. J’avais l’âge de tous les rêves, dans ce Pacifique que j’avais la chance de parcourir grâce à mon incorporation. Des îles, des îlots et des atolls, de toutes sortes, furent mon quotidien pendant de nombreux mois. Ma plus belle découverte, sans doute parce que c’était aussi ma première rencontre avec les Marquises, fut la baie de Hanavave(é), dite la baie des Vierges, à FATU-HIVA. Aujourd’hui encore, je frissonne d’émotion, rien qu’en pensant à cette approche, qui fut idyllique et inoubliable. Je vis, par la suite, bien d’autres beautés de cette merveilleuse Polynésie, issue sans doute d’un paradis intemporel, créé par quelques « Tiki » bienfaiteurs. Mais jamais celles-ci ne purent égaler le vertige émotionnel que m’avait procuré la vision de Hanavave(é).
Les îles sont des bateaux,
Les îles sont des bateaux,
Qui sans aucun voyage,
Ont trouvé un mouillage,
Parmi les vastes flots,
Et voguent immobiles,
Gonflées de tous les vents,
Dans l’éternel flanc
De leurs chemins liquides.
Les îles sont des bateaux.
Et je suis matelot,
Sur l’étrange mâture,
De ces voiliers sans fin
Frappés de solitude.
J’assume tous les bords,
Manœuvre sans délais,
Sur d’immobiles ponts,
Qui tanguent sans effet,
Ne roulant que mes sens,
Tant je vais aux frissons,
De ces défis intenses,
Inondant tout mon corps.
Assoiffé d’inédits,
Je vole au rivage,
Comme les goélands,
J’observe ces bateaux,
Épris de leurs élans,
Aux courbes sans défauts,
Et dont les harmonies,
Attisent mon courage.
Jeune ailé dans l’espace,
Aux gestes triomphaux,
Indomptable zélé,
Ravi de la surface,
Je me prends à chanter,
Sur un hymne tenace,
Les îles sont des bateaux.
Hanavavé
Baie d’Hanavave / Hanavavé / (Baie des vierges)
Iles Marquises à FATU-HIVA en 1971
Quand au lointain du temps, surgit ton souvenir,
Animant en mon cœur tes parfums égarés,
Je ressens ta beauté comme on hume un plaisir,
Un baisé véhément à jamais exaucé.
Pétri par l’émotion, le frisson dans la chair,
Ébahi de tes vierges, accoudées sur tes flancs
Je pleure sur la baie, entraînant mes prières,
Où meuvent les tempêtes au milieu des volcans.
Hanavavé sublime, ô ma fleur des Marquises,
Paradis interdit de mon cœur en lambeau,
Quand me reviendras-tu ? ô chimère conquise,
Par mes rêves élevés, comme un porte-drapeau.
Je me souviens livrer, à tes vicissitudes,
Habillé de tes landes, sublime paréo,
Aliéné et soumis, buvant tes plénitudes,
Quitte à les emporter dans le froid du tombeau.
Ton sein comme un supplice, entaille ma mémoire,
Les traits de ta beauté, flagellent ma passion,
Et si mes yeux rougis, s’abîment dans le noir,
C’est pour mieux apaiser mes hallucinations.
Quand le mal me prend, rompu à ma détresse,
Dans l’imagination de tout ton infini,
Je revois tes chevaux courant avec ivresse,
Entre les arbres à pain et les herbes fleuries.
Hanavavé, essence, en mon moi, si tenace,
Quand viendra le néant sur mon corps tari,
Accorde-moi la joie, d’un dernier face-à-face
Avant que tous mes sens ne plongent dans l’oubli.
Je me transporterai au mirage d’un songe,
Dans la forme sublime d’un vaporeux reflet,
Mon esprit dilué de désir qui s’élonge.
Épouseront tes formes d’une étreinte de paix.
MITI
Miti,* ô mer ! Mon bleu d’amour,
A la caresse tout ondoyée,
Je reviens te voir à rebours
Plein de mes souvenirs passés
J’irai dans tes lagons de verre,
Si transparents et pellucides,
Que le cristal de l’éther,
Étincelant dans ton liquide.
Dans tes coraux en arc-en-ciel,
Plus lumineux que des joyaux,
Je m’emplirai de leurs dentelles,
Habillant le flanc de ma peau.
Je m’unirai à ton silence,
Que mille bruits entretiendront,
Je serai là, dans ta mouvance,
Enlaçant toute ma raison.
Et avalant ta symphonie,
De friselis en bulle majeure,
J’irai dans l’antre de tes plis,
Me souvenir avec bonheur.
*Mer en polynésien
Marquises
De tous les bleus que j’ai pu voir,
De « l’arc-en-mer » des grands lagons,
De l’outre-mer brûlant au soir,
Des derniers feux de l’horizon.
De ces saphirs aux tons sublimes,
Qui étincellent dans un halo,
Clignotant tout en haut des cimes
D’une multitude de coraux.
Ces bleus, si bleus, qui virent au vert,
À la faveur d’un rayon,
Mutant au sombre, puis au clair,
Quand un nuage est à l’aplomb.
Ces bleus de plages de lèvres noires,
Aux volcaniques extensions.
Grignotant comme un laminoir,
Dans le secret de l’immersion.
Ces bleus aux bleus, des îles Marquises,
Dans le bleu de toutes mes pensées,
Qui bleuissent mon âme à leurs guises
De bleu, de bleu, de bleu, bleuté…