Les Voiliers, Les Bateaux,
Il n’y a rien de plus émouvant que le spectacle lointain d’un vieux voilier sous voile, glissant dans l’horizon comme un futile cerf-volant.
Bidonné à foison par des vents pleins et fluides, il flotte en agitant ses vaporeux contours.
Sa forme indéfinie, dans un halo gazeux, s’étiole dans la nue, comme un reste de rêve. Serait-ce une utopie de le chercher encore, dans les plis onduleux des flots condescendants ? Ce n’est bientôt qu’un trait qui danse, un nuage sur un nuage liquéfié dans l’éther et dans le flux des eaux.
Des limbes pleins de mouvances transpirent dans son sillage, comme un écho latent à l’âme indélébile.
Angelina
C’est un cotre charmant, au superbe travers,
Qui porte le joli nom d’une dame qu’on aima.
Il brille de sa mémoire, renvoyant sa lumière,
Et plein de sa beauté, qu’elle portait ici-bas.
Il ne fend pas le flot, mais vole sur la vague ;
Le vent, sans le brusquer, l’oblige de ses baisers.
Dans ce houleux sillage, si sa coque divague ?
C’est que l’océan même, s’enivre à le porter.
De tous feux, ses vernis, dans des reflets d’éther,
Illuminent sa toile, imbibée de la nue,
Sa voie, comme un poème écrit à l’eau de mer,
Se perd dans l’océan, où elle s’est confondue.
Il a pour capitaine, un barde, un crayonneur,
Qui croque en toute page, par petit bout, la vie ;
Voguant comme un esquif, tout au fond de son cœur,
Il va dans son dessin, toutes voiles établies.
La goélette la Recouvrance
Elle est de Brest, la fierté,
Son effigie, et sa prestance ;
Elle est mouillée en sa cité,
Près du quartier de Recouvrance.
Dans son allure un peu guerrière,
En aviso, qu’elle fut d’antan,
Le bleu-blanc-rouge est sa bannière,
Mais le Kroaz Du, est son sang.
La dame qui rehausse sa proue,
Aux traits de la belle Azénor,
Sauvée des flots ; elle en a tout,
Les beaux yeux bleus, les cheveux d’or.
Sa voilure, fille du Ponant,
Ourdie de nue, tramée d’éther,
Est l’égérie de tous les vents,
Qui dans ses hunes, la vénèrent.
Nul ne peut ignorer son nom,
Gravé dans l’âme de son essence ;
Sur son tableau, en tout son long,
On y peut lire « la Recouvrance ».
*Légende d’Azénor
L’Hermione
La liberté n’est point de cendre,
Ce grain sacré, ne peut brûler…
Rien n’y peut faire, à nous déprendre,
Quand elle enflamme, nos volontés.
Elle a la force d’une frégate,
Qui de l’Hermione, en combattant,
A fait d’un roi en juste fiat,
Sauveteur d’un new continent.
Aucun navire ne peut mourir,
Fut-il occis au fond des flots,
Quand d’un espoir, il sut nourrir,
Et porter haut, des idéaux ;
Il fallait cœur à reconstruire ;
De nobles gens, l’ont entrepris,
A Rochefort, pour reproduire
Ce bâtiment de liberty.
La liberté n’est point de cendre,
Parfois pourtant, elle peut sombrer…
Mais l’homme sait, toujours lui rendre,
L’épi vivant, qu’elle a semé.
Le Colbert
Ce n’est pas un élan, juste un remous funèbre,
Un tumulte soudain, dans l’élément confus,
Une ride en suspens dans un ciel de ténèbres,
Pour un noble vaisseau que le temps a déchu.
Il va à l’agonie, tiré par ses bourreaux,
De puissants remorqueurs, qui ajoutent à sa peine.
Sa robe de couleur, dégradée, en lambeaux,
Afflige tout son corps, d’une rouille malsaine.
Autrefois adulé, fleuron de la Royale,
Il a sur l’océan, honoré son drapeau,
Souvent auréolé de la flamme amirale,
Dressé sur sa mature, élevé au plus haut.
Tu ne croiseras plus, c’est fini, mon Colbert,
Bordeaux t’a condamné, c’est là ta destinée,
Tu ne vaux guère plus que le poids de ton fer,
De la belle structure, que tu as tant portée.
Vois, ces tristes marins, qui ont servi ton bord,
Pleins de la souvenance que tu leur as donnée,
Ils se sont redressés dans un dernier effort,
D’un garde à vous profond, quand ta coque est passée.
Saint Michel II
C’est par le vent, un joli Cotre,
Filant de tout son beau gréement,
Faisant la fête de part et d’autre,
Avec de beaux voiliers d’antan.
Au près, cinglant tribord amure,
Noir de coque, trait rouge et blanc,
Ses voiles exultent dans sa mature,
Comme de vastes cerfs-volants.
De son seyant nom, « Saint Michel
Deux » en bon ordre, le baptisant,
Jules Verne en fit sa caravelle,
Et le bureau de ses romans.
De cette École des Robinsons*,
Les enfants du capitaine Grant*,
Planent en songe dans un Ballon*
Pour un pari, que Fogg tente.
À Vingt mille lieues* de ces remous,
Naviguant Au tour de la lune*,
L’écrivain, Sans dessus dessous*,
Nous fait rêver avec sa plume.
J’ai ressenti son âme à bord,
Dans les membrures de ce voilier,
Le maître, murmurait encore,
Dans l’au-delà de ses pensées.
(*)Tout ou partie des titres des romans de Jules Verne.
Marie des Isles
Vous la verrez à l’île aux Fleurs,*
Que nul hiver ne vient faner,
Mouillée dans des exquises odeurs,
Dont tout le bord est imprégné.
La voilure est une aquarelle,
Humidifiée à l’élément,
Peinte avec tous les bleus du ciel,
Et de légers pinceaux de vent.
Son tableau ample et gracile,
Porte la marque de son nom,
Il est écrit « Marie des Isles »
Avec des lettres en bourgeons.
Pour entrevoir la goélette,
Cinglant dans le grand Océan,
Voyez le flot, à la lorgnette,
Car son sillage est scintillant.
*Joli nom de la Martinique
Buque Escuela Cuauhtemoc
L’avez-vous vu en mer ? Ce vaisseau majestueux,
Immaculé de blanc, reflétant sa lumière,
Sublimant Cuauhtemoc, sur sa prou comme un Dieu,
Défiant les océans, de sa fibre guerrière.
Sa voilure en guipure, véritable nuée,
Flotte sur l’horizon dans un ballet subtil,
Comme une brume qui ne semble rien pesée,
Dans un vent vaporeux, léger, presque puéril.
Cet aigle débordant, descendant sur sa proie,
Emplit de ses valeurs de devoir et d’honneur,
Prend son cap au soleil qui toujours le côtoie
Fort de ses traditions que génère sa lueur.
L’avez-vu entrant dans un port pour escale,
L’équipage perché sur les perches et perchoirs,
Comme des papillons en harmonie, étale,
Posant avec noblesse sur ces fins reposoirs.
Solennel salue de ces femmes et ses hommes,
Qui incarnent chacun, l’avenir de demain,
Ils avivent leur patrie, fier de leurs uniformes,
Gardien de leur histoire et de l’esprit marin.
ZARON
Ce voilier porte un nom étrange,
Et résonne comme un long passé,
Tel un dieu Grec, où tout dérange,
Dans un Olympe improvisé.
Son ventre court sur les ondes,
Dans les flots de Poséidon,
Gonfle ses voiles pudibondes,
Dans le doux souffle de Junon.
Dans la lumière de Phoebus,
Il ne craint pas le feu d’Arès,
Ni la menace des nimbus,
Qui vont mourir chez Hadès.
Point de mythologie de mer,
Aux effarantes dionysies,
Son nom est pur comme l’air,
De l’amitié de deux amis.
Sur le tableau de son arrière,
Écrit en toute aménité,
Leurs noms unis allant de paire,
Ont scellé l’âme de ce voilier.
Si vous voguez de part la mer
En la presqu’île de Quiberon,
Vous croiserez ces deux compères,
Sur leur esquif, le ZARON.*
*ZAPATA- CARON
La Belle-Angèle
Tendant sa main « un bout dehors »
Au doigt unique et élancé,
Elle va au profond de nos corps,
Et nous invite à embarquer.
Pour l’amour de la Belle-Angèle,
Il est « utile* » de la nommer,
J’irai m’habiller de misaine,
Pour mettre voile, à ses côtés.
De tout son pont, en libre scène,
Que nos pas foulent d’un baiser,
Elle nous reçoit dans son éden,
De drisses et bouts enlacés.
Pour l’amour de la Belle-Angèle,
Que Gauguin nous a sublimée,
J’irai tirer à tire-d’aile,
Dans les manœuvres de ses bordées.
En quai de cœur, à Pont-Aven,
Dans sa parure de Chasse-marée ;
Pour les Marins, elle est la reine !
Et les jadis d’un beau passé.
Pour l’amour de la Belle-Angèle,
Et de ces coques trépassées,
Je veux chanter de mon rappel,
Pour ne jamais les oublier.
*« l’Utile » : Chasse-marée qui a servi de modèle pour la réplique
de la Belle-Angèle de PONT-AVEN
* « Bout, Drisse » : Cordages de marine.
La Belle-Poule
Aux goélettes, la Belle-Poule et L’Etoile
Suspendue entre ciel et mer,
Ses ailes toutes déployées,
La Belle-Poule, en vent arrière,
Par faible brise, va, déventée.
Le flot rivé à son allure,
Dans une eau lisse et huilée,
Mire et renvoie toute sa mâture,
Dans ce miroir improvisé.
La toile molle choquée aux drisses,
Tantôt tendue sur ses taquets,
Subit les coups et le supplice,
Dans la torsion de ses goussets.
Comme une bouteille à la mer,
Dans le chemin de son humeur,
Elle se dandine libre et légère,
Dans le ballet d’un vent moqueur.
Agglutinés, les focs évoquent
Amurés au jeu du beaupré,
Des dauphins de bric et de broc,
Qui vont embrasser le hunier.
Pas besoin d’être vaillant et leste,
Pour franchir passe et goulet,
Pas besoin d’un tonnerre de Brest,
Quand on n’est pas barré au près.
Dans son sillage, vaporeuse,
Dans un couchant de voie lactée,
L’Etoile, sa consœur silencieuse,
Semble dans l’éther s’envoler.
Où je pus lire,
Comme un éclat plein de blancheur,
Au large de la baie de Quiberon,
Il m’apparut dans la lueur,
D’un levant pâle et pudibond.
C’était un vaisseau en dentelle,
A la voilure chevelue,
Un grand nuage irréel,
Fixant ses verges dans la nue.
Le vaporeux de sa mâture,
Se dépliait en cathédrale,
Relié de mille filatures,
Comme une toile en dédale.
Ses bouts sillonnaient les haubans,
Comme des veines aériennes,
Enchevêtrées, parachevant,
Tout un gréement de porcelaine.
Et comme un trait, coupant le ciel
Posé sur la mer en remous,
La coque noire et solennelle,
Brisait la vague jusqu'à la proue.
Sa silhouette perçait l’azur,
Dans un halo long et suprême,
Illuminant toute sa peinture,
Où je pus lire le « BELEM ».
Vieux Gréement
Si tous mes bois vernis étincellent à outrance,
C’est que de bonnes mains ont caressé mes plis,
Elles ont avec amour, parcouru mes instances,
De ma coupe à ma proue, en gabiers accomplis.
Si toute ma voilure se gonfle comme nue
Avivée sur mon mât, en son plus haut sommet
C’est que des besogneux inspirés l’ont cousue
En soignant dans ma toile le plus petit ourlet.
Mes membrures ont porté tant de charges naguère
Que mes ponts ébranlés en sont encore ténus,
Et si je fus sauvé, du fond de la vasière,
C’est qu’un homme en ce lieu s’en était fort ému.
Ainsi en souvenir de tous mes pauvres frères
Qui moisissaient dans l’eau de ces charniers salins
Je veux dans le ponant chanter à ma manière
Un beau De profundis sur des airs de marins.
Un voilier ne meurt pas
Un voilier, ne meurt pas, il s’abîme de l’air,
Étirant indolent, ses voileux souvenirs,
Un nuage pour voile, habille son travers,
Pénétrant dans sa coque, percée comme une buire.
Un voilier, ne meurt pas, il s’effrite de vent,
Au fond d’une vasière collé au temps qui passe.
La marée qui l’embrasse, le dévore doucement,
Pareille à une amie à l’amour vorace.
Un voilier ne meurt pas, il s’émousse sans heurt,
Abandonnant ses formes au courant agité,
Son mât est comme un doigt, pointant à crève-cœur,
Les beaux jours de naguère que le temps a ruinés.
Mais quant à l’horizon, un vieux gréement en mer,
Passe dans le lointain, brillant de tous ses ponts.
L’épave engourdie, scellée comme une pierre,
S’anime d’une larme et d’un tendre frisson.