Le 5 septembre 2017 

 La mort d'un ami.

Je pourrais commencer ce petit article par ces deux beaux vers de Pierre Corneille, néanmoins adaptés

« Orage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vécu pour être détruit ainsi ? »

 

                L’Orage dont je vous parle est un fier vaisseau de guerre, parti le 20 août de cette année pour être déconstruit à Gand en Belgique. J’ai eu le grand honneur avec beaucoup de mes camarades de la Royale, que je salue ici, de servir sur cette belle unité en 1971. Un bateau c’est comme un homme, ça vit et ça meurt un jour dans les ténèbres du temps. C’est un compagnon qui colle à la peau, un ami sur qui on a compté, à qui on a confié sa vie, que l’on a aimé et respecté. Vous comprenez mieux l’émoi, la tristesse que peut ressentir un marin qui a servi sur un tel bâtiment ? C’est un peu un déchirement, un pan de son existence qui s’en va, un être cher qui disparaît. « Ne peuvent comprendre que ceux qui l’ont habité corps et âme, même bien après l’avoir quitté ». Le temps que j’ai passé à bord de ce guerrier des mers est infime au regard des souvenirs que je porte en moi depuis plus de 50 années ; il est là dans mon cœur, et dans la représentation d’une maquette que m’a construite mon ami Jean-Luc Elineau. Il me reste aussi les écrits que je lui ai dédiés au fil des années comme on parle à un grand frère avec des mots complices, chuchotés en moi-même au plus profond de son esprit.

 

« Va mon ami, dignement courir, dans ces eaux de l’abîme où tu t’en vas mourir.

Nos regards sont en toi emplis de nos regrets, et dans le garde-à-vous d’un ultime respect ».

 

Voici l'ensemble des textes et poèmes que j'ai écris sur ce fier bateau et son environnement.

L’Orage,

 

C’était un jour d’éclair,

Dans la brume du matin.

L’Orage voguait en mer,

Dans un ciel de satin.

 

L’Orage, c’est mon bateau,

A la couleur des brises,

Courant dans les halos,

Du soleil des Marquises.

 

Enlacé avec grâce,

Sa coque de couleurs,

Laissait sur sa surface,

Des reflets comme des fleurs.

 

Sa proue coupant l’écume

Avalait son chemin,

Accompagnée par une

Multitude de dauphins.

 

Et les pics de WA PU,      (wapou)

Cinglant comme des voiliers,

Gonflaient de tous les bouts,

La mue accastillée.

 

C’était un jour de mer,

Parfumé d’un embrun,

Sur mon navire de guerre,

Où j’y étais Marin.

Mon bâtiment

 

Mon bâtiment en turbulence,

Sur une mer en (outre-bleu)*,  

À la rigueur d’une allégeance,

Pliait aux vagues et aux creux.

 

Le flot, fut-il « Pacifique »

Imposant et imprécatoire,

Lançait de ses crêtes et ses pics,

Une écume toute ostentatoire.

 

Des myriades de poissons volants,

Accompagnaient la proue avide,

Dans un vol court, papillotant,

Brillant de leurs reflets liquides.

 

Au loin dans un bain de vapeur,

Panama quittait mon regard.

Mon bateau, comme moi rêveur,

S’émancipait de cette amarre.

  * allusion à Outre-mer

Orage naguère

 

Il est de gris, sa robe en fer

À l’élégance de son drapeau ;

Son uniforme en drap de mer,

A le reflet de tous les flots.

 

Sur son pourpoint, comme un hommage,

Il est écrit le mot « Patrie »

Dans ces valeurs, son équipage,

Le vénère comme une égérie.

 

Ne voyez rien de militaire

Trop appuyé dans mes propos,

Ce sont des hommes, des hommes fiers,

Qui ont respect de leur vaisseau.

 

Nul marin ne peut prétendre

N’avoir point aimé et chéri

Ce bateau, qu’il a su comprendre ;

À qui il a confié sa vie.

 

Si je vous en parle au présent,

Alors qu’il n’est plus que naguère,

C’est que son souvenir est grand,

Dans mon cœur et dans mes chimères.

Première rencontre

 

C’était un soir brumeux d’hiver,

Où momifiait un froid profond,

Tous les bateaux semblaient de verre,

Fantomatiques et moribonds.

 

Un vent vilain rongeait la rade,

Et laminait sans distinguo,

Ces indolents, qui en cascade,

Se balançaient sur leurs anneaux.

 

Je t’entrevis dans ce filet,

Exhalaison des plus tenaces,

Peint de blancheurs et de reflets,

A la faveur de la bouillasse.

 

A la coupée, une sentinelle,

Ratatinée comme un cocon,

Figeait sa ligne solennelle,

Dans un salut au pavillon.

 

Je m’approchais, sur ton devant,

A l’imposante masse de fer,

Le gris de ton manteau rouillant,

Soulignait tes formes guerrières.

 

Ton nom brillait comme un joyau,

Verni dans une gelée de glace,

Il s’étirait au fond de l’eau,

En se mirant contre ta face.

 

Et en rappel, tel une flamme,

Sur la légende* de mon bachi *

Comme un écrin portant ton âme,

Ton nom, ORAGE* était écrit.   

 

 *Légende : ruban de tissu qui porte le nom du bateau

 

 

Nostalgie

 

Un grand merci à l’équipage de l’aviso,

Enseigne de vaisseau Jacoubet,

pour nous avoir permis de visiter leur bateau.

 

Ce n’est point ton bateau, le tien fut, bien hélas,

Déconstruit un matin, condamné à l’oubli.

L’aviso qui se tient, devant toi, comme un as,

En a ses attributs, quoi qu’il fut plus petit.

 

Tu es convié à bord, c’est un moment intense,  

Sa coque à la couleur, de tous tes souvenirs ;

Ce gris n’est pas un gris, dans ta tête en transe,

C’est l’antre de ton coeur, et de tous tes Désirs

 

Sitôt à la coupée, un pied à l’intérieur,

Te voilà investi de l’odeur huilée,

Que tu humais jadis, comme on flaire une humeur,

Une essence, une amie, qui t’avait adoptée.

 

Tu arpentes à présent les étroites coursives,

Tous les postes défilent, ranimant ton passé,

Ta bannette exiguë, alcôve privative,

Où tu aimais rester pensif et bercé.

 

Les échelles de pont te semblent exiguës,

Mais en réalité, l’embonpoint t’a gagné ;

Le marin aguerri que tu étais, n’est plus,

Pourtant, il est en toi, prêt-à-ressuscité

 

Enfin, en plage avant, devant le brise- lames,

Où prenant du repos, tu aimais t’adosser,

Tu mesures à présent, en ce lieu, en ton âme,

Tout ce que la royale avait pu t’apporter.

Le clairon sonne,

Au sonneur de l’Orage en 1971

 

Le clairon sonne dans les coursives

Et dans les hommes en écho,

En de sonores offensives,

Pour le réveil du matelot.

 

Marin soldat, finis tes rêves,

Où te berçait un orphéon ;

Laisse tes songes en réserve,

Et va à l’appel du pont.

 

Le clairon sonne dans les coursives

Et dans les hommes en écho,

En de sonores directives,

Pour les couleurs et le drapeau,

 

Marin soldat, en tout honneur,

Salue l’emblème de la Nation,

Toi qui es l’âme et le cœur,

De la royale institution.

 

Le clairon sonne dans les coursives

Et dans les hommes en écho,

Pour les douceurs gustatives

Du repas et du tord-boyaux.

 

Marin soldat, à ses saveurs,

Fais bonne grâce au marmiton ;

C’est dans l’instant de ce bonheur,

Que le plaisir se fait glouton.

 

Le clairon sonne dans les coursives

Et dans les hommes en écho,

Un branle-bas à la dérive,

Plein de fatigue et de repos.

 

Marin soldat reprends tes rêves,

Va aux adieux de ce clairon,

Dans sa musique qui s’achève,

Et qui te berce de ses sons.

C’est pour mieux

 

Le bâtiment est dans son air,

On entend jouer du clairon,

C’est l’appel des permissionnaires,

Qui se sont massés sur le pont.

 

Au garde-à-vous et solennels,

Devant un maître* pointilleux,

Les hommes à l’allure formelle,

Restent stoïques et silencieux.

 

         C’est pour mieux aller voir en ville,

         Plein la braguette en trousse-queue,

         Ces belles dames, pour une idylle,

         Qui n’appartient qu’aux cols bleus. 

 

Voici sonnant pour les couleurs,

Le lever sacré du drapeau,

Dans la « discipline et valeur*»

Que saluent tous les matelots.

 

Au garde-à-vous comme une chandelle,

Devant un maître* pointilleux,

Les hommes impatients s’échevellent,

En égrainant ce temps odieux.

 

         C’est pour mieux aller voir en ville,

         Plein la braguette en trousse-queue,

         Ces belles dames, pour une idylle,

         Qui saura bien les rendre heureux.

 

*Maître : Grade de sous-officier dans la marine

*Deux des quatre devises de la Marine Nationale

 

FIER MARIN

Dans le golfe de Gascogne En janvier 1971

 

J’ai ouï comme un blasphème                      

Et maudit vos rumeurs,                                  

Océans, Mers, Vagues en fureur,                      

Perpétuels dilemmes,                                        

Où échouaient mes frayeurs.                                 

                                                                        

J’ai rythmé vos excès,                                    

Au tourbillon frappant                                   

Du tangage, vos plis

Démentiels, brossés,

Au brise-lame avant,

Comme des féeries

Irisées à outrance.

 

Puis savant remède,

Des jours aguerris,

J’ai, de sur vos flancs

Asservi l’équilibre,

De l’abîme en mon corps,

Exalté cet effort,

Au va et au vient libre,

De vos rythmes déments.

 

Ainsi fier et marin,

Me voici, ô ! Complice,

Et chaque frénésie,

Révèle ce délice,

Qu’est le flot incertain.

AG de Dunkerque

 

Le temps est revenu, l’on se souvient, intense,

De ce fier bateau, qui aujourd’hui n’est plus ;

Notre Orage a passé, il n’est que souvenance,

Pourtant dans tous nos cœurs, il ne s’est point perdu.

 

Le voici à Dunkerque, en fameux équipage ;

Son âme ravivée, par nos évocations,

Attise nos pensées en suivant son sillage,

Que chacun d’entre nous habite avec passion.

 

Nous le voyons flotter, ainsi sur un nuage,

On pourrait de la main, en chœur le toucher ;

Remonter sur son bord pour un dernier voyage,

Sur cette mer de nue qui semble nous tenter.

 

Il est escorté de, la belle Duchesse Anne,

A bâbord, ce voilier, s’invite  sur son côté,

A tribord, la princesse, tout à fait anglomane,

Se nomme Elizabeth, vous l’auriez deviné.

 

Nous voilà réunis, honorant sa mémoire,

Chacun en ripaillant, va de son souvenir,

Livrant dans son récit, un peu de son Histoire,

Ses joies, ses aventures, qu’il avait pu ourdir

 

L’orage est déjà loin, quand il nous faut partir,

Nous le laissons voguer, il revient chaque année ;

Dans un dernier salue, on s’en vient l’applaudir,

Triste, mais ébahie, de sa  belle envolée.

Le ciel est bas

 

Le ciel est bas au port de Gand,

Tout, grimace en noir et en gris,

Un clapot triste se répand,

Dans un air de  De profundis.

 

Nul orage ici ne sévit,

L’Orage lui, est sur les flots,

Il s’en vient terminer sa vie,

Promit à maints, chalumeaux.

 

Il est tiré en marche lente

Comme on traîne un vilain forçat,

Conduit à sa propre tourmente,

Pour y endurer son trépas.

 

Malgré sa robe maculée,

Il a encore fière allure,

Sa coque reste élancée,

Soulignant sa noble posture.

 

Puisque les dés en sont jetés

Et qu’il se doit finir occis,

Souffrez ces vers affligés,

En souvenir de cet ami.

 

Parfois je me retrouve à bord,

C’est comme un songe, une folie,

Il est en moi, je suis son port,

Il est à l’ancre de ma vie.